10/12/2008
Compte rendu – Soirée Live Silicon Valley
Bonjour à tous, merci d’être présents ce soir à nos côtés. Nous avons dû refuser plus de cinquante personnes qui souhaitaient être là, ce qui nous désole, mais c’est la preuve que le thème de cette soirée et son format répondent à un fort intérêt.
Pour commencer, je souhaite remercier les organisateurs. L’Institut G9+ est une fédération de clubs hautes technologise constitués par des élèves issus de grandes écoles françaises. Certains de ses membres se sont particulièrement investis dans cet événement, permettant ainsi de produire un travail de qualité. Parmi les organisateurs, David Bourgeois, ici présent, représente le club Centrale Marseille IT. Je ne peux citer tout le monde, mais ont notamment participé : le club IT des anciens de Polytechnique, Cyberix ; le Centrale Informatique Electronique et Télécommunications, de Centrale Paris, avec lequel nous travaillons beaucoup et sommes heureux de préparer ces conférences sur le Web ; le RMS Network, l’école de commerce de Reims ; HEC Web, évidemment ; enfin l’ESSEC Business et Technologie. Nous en profitons pour remercier Monsieur Claude Durand, Président de l’Institut G9+. Merci d’être avec nous ce soir.
Cette conférence est née d’une discussion sur Internet. Beaucoup de réalisations se font de manière très naturelle par le biais de ce média chaque jour plus présent. La discussion a commencé il y a plusieurs mois lors du passage à Paris de Georges Nahon, patron de l’Orange Labs de San Francisco. Georges est quelqu’un de très motivé, qui incarne totalement sa fonction et transmet sa passion avec vigueur et simplicité.
Cette discussion se fera en simultané avec Laetitia Mailhes, journaliste permanente pour Les Echos dans la Silicon Valley depuis 12 ans environ, et spécialiste locale de ces sujets. Elle traite également d’autres sujets, comme par exemple récemment les élections américaines. Je la remercie vivement – ainsi que les patrons de start-up présents aujourd’hui – puisqu’elle est en effet à l’origine de l’invitation qui a permis à ces derniers d’être là. Je remercie enfin Thierry Bonhomme, qui interviendra en introduction. Il est le Directeur exécutif du groupe France Telecom Orange en charge des Orange Labs et de la Recherche et Développement, et nous fait l’honneur de sa présence malgré un emploi du temps chargé.
La perspective de cette conférence s’inscrit dans le cadre de l’organisation par David Bourgeois et moi-même d’un certain nombre de conférences concernant les services web. La dernière concernait le thème des conversations sur Internet entre marques et consommateurs, un sujet de plus en plus populaire. Nous avions auparavant réalisé une rencontre autour de Pierre Chappaz, président de Wikio, ex-patron de Yahoo Europe et initialement de Kelkoo. La précédente encore concernait Tariq Krim de Netvibes. De la même façon, nous avons traité un certain nombre d’autres sujets (réseaux sociaux, communautés, blogs).
Vous assisterez tout d’abord à une introduction conduite par Thierry Bonhomme et Georges Nahon. Olivier Ezratty, que je n’ai pas encore cité – et que nous apprécions pour sa vision très fine du marché – dirigera la table ronde en France. Il se présentera lui-même et animera les débats, conjointement avec Laetitia Mailhes, après une introduction prospective du sujet. La soirée se terminera par un cocktail qui nous permettra d’apprécier quelques innovations d’Orange installées dans les contre-allées. Vous pourrez ainsi découvrir deux modèles de tables communicantes, une télévision trois dimensions et d’autres éléments futuristes comme « chapi-chapo » par exemple.
Je passe à présent la parole à Thierry Bonhomme, que je remercie une nouvelle fois pour son introduction.
Bonjour à tous et à Georges Nahon. Merci Luc Bretones de nous recevoir dans les Jardins de l’innovation, où nous accueillons habituellement nos clients et partenaires pour ce qui a trait aux objets et produits sur lesquels nous travaillons.
I. Les mutations actuelles du paysage de la haute technologie
J’ai choisi de réaliser mon introduction en proposant un éclairage sur les mutations de l’économie et sur la solidité de notre industrie. Je vous propose une lecture parallèle de la situation des entrepreneurs entre les Etats-Unis et la France. Mon souhait est de partager avec vous quelques éléments, qui nous permettront d’installer un cadre de réflexion autour des mutations à répétition que notre secteur des TIC traverse.
Trois grands phénomènes expliquent la totalité de ces mutations : le premier tient à la numérisation des contenus, quasiment totale aujourd’hui, qu’il faut garder en tête. Un deuxième élément est la généralisation du protocole IP qui s’applique à tous les réseaux et à tous les échanges. Troisièmement, on assiste à la multiplication de la connectivité à la fois sur les réseaux fixes et mobiles.
Ces trois éléments ont eu des conséquences claires sur la convergence des réseaux et des situations de communication. Dans les pays développés, tous les utilisateurs aspirent à une utilisation indifférenciée de leur mobile, dans le cadre du travail ou dans un contexte de divertissement. En ce qui concerne les services, on rêvait il y a quinze ans de la convergence des trois écrans – PC, TV, mobile – et cet objectif est aujourd’hui atteint. Une deuxième conséquence de ces grandes transformations se traduit par l’extension du domaine des TIC et l’apparition de filières. La santé illustre particulièrement bien cette apparition de secteurs et de territoires nouveaux sous l’influence des TIC.
On note aussi l’extension globale des services d’intermédiation, dominés par un certain nombre de grands acteurs américains. Enfin, le domaine des contenus est soumis au même phénomène. Cette extension des territoires amène un bouleversement de l’écosystème dans lequel interviennent les industriels : les opérateurs de réseau interagissent entre ces derniers et les utilisateurs ; des acteurs apparaissent, réalisant des concentrations verticales en tentant de renouer un contact avec le client final dont beaucoup d’industriels se sont retrouvés éloignés. Parallèlement, ils réalisent des concentrations horizontales : les sociétés-mères se rachètent et s’interpénètrent. On peut donner l’exemple parmi d’autres de Skype et Ebay il y a deux ans.
Cette évolution est très perturbatrice pour nos sociétés qui visent à s’approprier l’accès au client final, pour lequel le pouvoir d’achat et les besoins de communication sont limités.
D’autres évolutions augmenteront la compétition et le dynamisme de cet écosystème, en particulier le déploiement des réseaux très haut débit dans les réseaux fixes et mobiles. Les protocoles 3G+, puis de 4G, proposeront d’ici à 2012-2015 des niveaux de débit mobile parmi les plus puissants connus actuellement. Les connexions cuivre rejoindront probablement ce qu’il est aujourd’hui possible d’offrir au moyen de connexions optiques.
Ce déséquilibre déborde largement du champ des sociétés impliquées. Les analyses économiques démontrent en effet un rapport de proportionnalité évident entre l’investissement des pays dans le secteur des TIC et la croissance industrielle globale, ainsi que le taux de croissance des pays concernés. A partir de là, l’Europe doit s’interroger sur son décalage constaté par rapport aux zones Amérique et Asie. Les Etats-Unis possèdent une puissance de frappe énorme en ce qui concerne les services d’intermédiation et le contenu. L’Asie possède un atout industriel, tant du point de vue des fabricants que des équipementiers de terminaux et de réseaux. L’industrie des TIC en Europe représente environ 22 % de l’industrie mondiale, alors que marché des TIC représente 32 % du marché mondial. Cet écart ne cesse de s’accroître.
II. Les conséquences de ces mutations pour le groupe Orange
Il existe donc un véritable enjeu au niveau des gouvernements et des économies européens face aux deux grandes puissances. Il faut se donner les moyens d’équilibrer le marché et l’industrie. Un groupe tel qu’Orange interpelle à ce sujet le gouvernement européen – la Commission européenne, et les gouvernements nationaux. Nous leur adressons des problématiques de normes, de standards et de régulation. C’est un déterminant fondamental de notre capacité à investir, à relever le défi du très haut débit et à fabriquer de façon confortable de la valeur. Il est important que les investissements soient rentabilisés et non perturbés par les décisions du régulateur.
Ceci constitue, dans ses grands traits, le paysage actuel. A l’intérieur du groupe France Telecom, nous cherchons à capter les tendances américaine et asiatique. Les technologies sont largement nées des start-up, des petites entreprises qui sont devenues de grosses structures capables de fabriquer de l’innovation dans notre secteur. Pour capter cette innovation, le groupe a choisi depuis environ dix ans de créer un certain nombre d’implantations dans le monde, chargées de suivre l’innovation, aussi bien universitaire, industrielle que chez les compétiteurs. Le pôle dirigé par Georges Nahon constitue la première création hors de France, à San Francisco, d’un laboratoire R&D. Nous en possédons aussi un à Boston, un à Tokyo, un à Pékin. Un autre en Egypte est en développement, s’ajoutant à notre implantation sur les territoires où nous opérons commercialement (Londres, Madrid, Varsovie, en plus de la présence des laboratoires français). Cela représente au total entre 3 600 et 3 800 chercheurs, soit 15 à 20 % de l’ensemble situé hors de France.
Cette donnée confère une capacité d’intervention géographique vaste, palpable au travers des brevets – nous en déposons chaque année environ 400 – qui nous positionnent parmi les grandes entreprises de services. Cela nous permet de faire croître notre chiffre d’affaire, mais c’est aussi un moyen de protéger nos inventions et d’exercer une influence internationale sur les standards et la normalisation. Ainsi, il est possible de défendre nos propres points de vue vis-à-vis des compétiteurs.
Je donne à présent la parole à Georges Nahon.
Nous sommes à San Francisco, il est dix heures du matin et il fait un temps incertain. Merci à Luc Bretones et aux organisateurs. Bienvenue à San Francisco à nos invités, en particulier à Laetitia Mailhes qui organisera la discussion de notre côté. Bienvenue à vous aussi à travers la visioconférence. Merci Thierry pour cette présentation.
En accord avec Luc Bretones, j’ai prévu de parler de l’innovation telle que nous la percevons dans la Silicon Valley, et des raisons de la présence d’Orange depuis dix ans, au moyen de son plus ancien centre de R&D implanté hors de France.
I. Panorama et perspectives de la période d’incertitude actuelle
Le thème général par lequel je souhaite commencer est celui de l’innovation dans la période d’incertitude actuelle qui s’installe. Je désire partager avec vous un certain nombre de points d’actualité.
Le 19 novembre 2008, le Dow Jones est descendu au dessous de 8 000 points, une situation inconnue depuis 2003. Une centaine de blue chips, sociétés cotées en bourse aux Etats-Unis, sont descendues au dessous de dix dollars par action. Dans le secteur qui nous intéresse, Xerox se situe à 5,58 dollars, Motorola à 3,44 dollars, Yahoo à 9,14 dollars. Dans le secteur automobile, la chute est frappante : Ford se situe à 1,26 dollar et General Motors à 1,79 dollar. Ces entreprises deviennent des cibles intéressantes pour des acquéreurs potentiels. Pour l’anecdote, Burger King est demeuré à 19 dollars.
Cette baisse ne s’était pas produite aux Etats-Unis depuis 28 ans. Lors de l’explosion de la première bulle, la Silicon Valley était responsable de l’effondrement des marchés financiers. Cette fois, sans encore parler d’effondrement, c’est Wall Street qui est à l’origine des problèmes de la haute technologie et du marché en général. Les investissements des sociétés de capital-risque ont commencé à fléchir lors du troisième trimestre 2008, notamment sur le marché des sociétés Internet, et il est probable que cette baisse se poursuive. On parle de suppressions d’emplois, environ 56 000 dans la haute technologie, qui pour la moitié concernent le cas de Hewlett Packard.
Ces remarques permettent de montrer qu’il faut rester optimiste : dans le passé, un certain nombre de grandes innovations dans le domaine de la haute technologie ont eu lieu dans des moments de crise. On peut citer l’apparition d’Apple et Microsoft dans les années 70, une période particulièrement défavorable. On peut imaginer que l’innovation se développera selon une logique de rupture dans les mois et les années à venir, puisqu’elle s’impose comme l’unique possibilité. De notre point de vue, nous parvenons à la fin d’un cycle d’innovation, notamment en ce qui concerne l’Internet. Nombre de signes le prouve, comme l’apparition de concepts inédits : l’entrée dans le monde des amis, du partage, des tags et des newsfeed. Dans ce nouvel environnement, le mode de consommation mené par les 18-30 ans est déconcertant pour la planification. En particulier, un grand nombre de ces services est gratuit, ou financé par la publicité.
Un autre élément important est la publication le 20 novembre 2008 d’un rapport sur le nombre d’utilisateurs du haut débit dans le monde : il est aujourd’hui de 400 millions, contre 57 000 en 1998. Là aussi l’optimisme est permis, car l’environnement du haut débit constitue une plate-forme importante et probablement durable pour l’innovation.
Sans dresser une liste exhaustive, quelques points semblent particulièrement importants au sujet de la vague d’innovation actuelle, qui ne semble pas sur le point de se tarir. Premièrement, on constate une évolution des contenus de l’Internet vers la vidéo. Celle-ci possède aujourd’hui la même ampleur que le web dans les années 90. Pour beaucoup, la webvidéo, c’est-à-dire la vidéo qui parvient par Internet, devient une alternative à la télévision et surtout à la télévision par câble. Un certain nombre de personnes se détourne d’opérateurs tels que Comcast, pour utiliser sa liaison Internet – câble ou ADSL. On peut citer Hulu, joint-venture entre NBC et Fox, Juice, et bien sûr Youtube et son équivalent européen Daily Motion. Youtube est par exemple devenu le deuxième moteur de recherche après Google, en dépassant Yahoo. En terme de capacité d’attraction, la vidéo est maintenant un facteur important de consommation et d’information.
On constate d’ailleurs qu’Internet est de plus en plus « infocentrique », c’est-à-dire centré autour de données stockées en quantités considérables, plutôt que de terminaux qui meurent avant l’information. L’information est donc l’objet de nombreuses innovations intéressantes. La tendance actuelle est celle d’une recherche faite « pour vous » et non « par vous », même si c’est en réalité plus complexe. Il s’agit d’une évolution vers « l’intuition numérique », un concept intéressant s’appuyant sur l’ampleur de la connaissance disponible sur Internet.
Il existe en outre de plus en plus d’applications pour le mobile : on peut penser au mobile 3G, avec l’apport d’Apple au marché au moyen de l’iPhone et de ses clones. On assiste à l’émergence de places de marché d’application autour du mobile, dynamique dans laquelle Orange est très présente.
Enfin, notons le défi du parallel computing, une question complexe qui conditionne le déploiement massif du cloud computing, notamment pour l’interconnexion des différents clouds présents dans le monde (Google, Amazon, Microsoft). Il faut faciliter leur mise en connexion en tenant compte des environnements réglementaires de chaque pays. Il s’agit par exemple de savoir comment stocker l’information d’entreprise dans des centres de données en Chine, et donc de mettre en place des règles. Enfin, les neurosciences tendent à converger vers l’informatique.
Voici quelques lignes générales. Une anecdote intéressante est la succession de deux annonces étonnantes concernant la presse : PC Magazine a annoncé le 19 novembre 2008 l’arrêt de son édition papier et son passage entièrement en ligne, soit la fin d’une institution de 26 ans. Le quotidien américain Christian Science Monitor a fait de même. Le passage au tout numérique s’accélère donc.
II. Les motivations de la présence d’Orange dans la Silicon Valley
Le sens de la présence d’Orange dans la Silicon Valley correspond à un besoin de s’ouvrir vers de nouvelles sources géographiques et culturelles et de les mettre à sa portée. La Silicon Valley représente une capitale reconnue de l’innovation dans la haute technologie qui n’est toujours pas concurrencée par d’autres zones, ni aux Etats-Unis ni ailleurs. 11,6 % de tous les brevets déposés aux Etats-Unis le sont par des entreprises et des universités de la Silicon Valley. De même, la part des sociétés de capital-risque dans la dynamique générale de la région est intéressante. La zone semble relativement préservée puisqu’entre 30 et 40 % de l’investissement des venture capitalists depuis dix ans se concentre sur la Silicon Valley. La deuxième région ciblée est la Nouvelle Angleterre, avec la présence du MIT et d’Harvard, et 12 % de l’investissement, ce qui demeure loin derrière la Silicon Valley. Pour Orange, cette présence permet de capter l’innovation et de la canaliser vers l’intérieur du groupe pour permettre de s’adresser à des marchés futurs.
Les transitions de marchés sont des éléments importants pour comprendre les évolutions à venir. Elles permettent d’avoir un impact sur la préparation du groupe. Cette notion de retour sur investissement concerne l’impact possible sur la mise en harmonie de nos produits et services avec les tendances de consommation qui se manifestent dans la Silicon Valley, caractérisées par une population friande de produits innovants. La présence d’Orange dans la zone constitue en ce sens un avantage substantiel.
En conclusion, dans cette période de transition et d’incertitude, beaucoup d’experts parlent de l’importance croissante des réseaux. Ils sont un élément stratégique pour stimuler la productivité et augmenter l’efficacité des entreprises cherchant à faire des économies en période de crise, tout en maintenant une capacité d’innovation et de R&D suffisante. L’innovation est de plus en plus présente dans tous les réseaux physiques, sociaux et de connaissance. Nous avons décidé depuis plusieurs années d’investir dans ces réseaux d’innovation dans le monde entier, au travers des Orange labs. Comme le disait le président Didier Lombard dans son livre Le Village Numérique Mondial : « nous sommes les réseaux ». Je vous remercie.
Béatrice TARKA, Cofondatrice et CEO de Mobissimo
Marc DANGEARD, Banquier d’affaire et fondateur d’Entrepreneur Commons
Renaud LAPLANCHE, fondateur et CEO de Lending Club
Daniel LAURY, Fondateur et CEO de LSF Interactive
JD BERGERON, Kiva
Thierry BONHOMME, Directeur exécutif Orange labs, R&D
Georges NAHON, Président de l’Orange labs de San Francisco
Débat animé par Laetitia MAILHES, journaliste correspondante innovation pour Les Echos à San Francisco et Olivier EZRATTY, consultant freelance dans le conseil en stratégies de l’innovation.
Olivier EZRATTY
Je suis un peu gêné, car Luc Bretones m’a demandé une introduction sur le web 2.0. Georges Nahon ayant été assez expansif sur la question, je vais donc me contenter de compléter. Sur l’invitation, la présentation du titre « web 2.0 », où seul le nom apparaît, ressemble à un faire-part de décès. Cela pose la question de la mort éventuelle du web 2.0. La réponse dépend de ce qui est considéré. Les aspects liés au mode de financement des sociétés du web 2.0 et la bulle spéculative conduisant à la dévalorisation des start-up sont différents du phénomène sociétal et des évolutions liées à Internet. Dans certains cas il faudra probablement faire face à de vrais problèmes, dans d’autres une continuité s’instaurera.
J’ai identifié cinq thèmes dans lesquels des mutations sont assurément en cours. Le premier concerne les réseaux sociaux et la manière dont ils poursuivront leur transformation. Au cours des deux dernières années, un réseau social tel que My Space, qui compte quelque 120 millions d’utilisateurs, a été devancé par un autre, Facebook. Cependant, My Space est profitable, à l’inverse de Facebook. C’est une incertitude liée à l’ambivalence entre les usages et les problématiques de monétisation. Il en est de même pour le transfert du blog classique vers de nouveaux outils tels que Twitter, qui ne sait pas non plus se monétiser. Des vagues en remplacent d’autres et démontrent une grande instabilité : l’ascension de Second life par exemple s’est stabilisée.
Un autre exemple de mouvement est celui des médias. Les médias traditionnels, y compris la télévision, sont menacés dans leurs positions actuelles. Dans les deux années à venir le chiffre d’affaire de TF1 par exemple, en dépit de la question de France Télévision, baissera inéluctablement. L’intérêt des populations se déplacera vers Internet. Il existe aujourd’hui un décalage entre le volume de publicité disponible en ligne et le temps passé par les utilisateurs sur Internet. Ce retard dans les transferts de budget n’empêche pas leur confirmation, même s’ils ralentissent actuellement. Au cours des trois dernières années, le chiffre d’affaire publicitaire en ligne a crû d’environ 35 % par an. En 2009, il sera d’environ 12 % seulement. Tous les autres budgets publicitaires (télévision, affichage) s’écroulent, provoquant une grande incertitude et une grande bataille autour du web 2.0. L’ensemble des médias cherche à investir le web, ce qui représente une mutation majeure.
Le monde de la mobilité représente un troisième exemple, à son commencement seulement. France Télécom est potentiellement intéressé, mais peut en souffrir. Le principe du forfait illimité généralisé qui met à disposition de façon horizontale tous les services sur les mobiles, avec de nombreux choix d’applications, génère lui aussi une grande incertitude. A quelle vitesse, à quel prix ce marché va-t-il s’établir ? Comment s’organisera la concurrence ?
La quatrième grande tendance concerne la façon dont les entreprises adopteront les usages du web 2.0. Enfin, la dernière tendance concerne l’évolution des modèles de financement. La crise provoquera le décès de certaines start-up faute de ressources publicitaires. La baisse de la croissance du marché publicitaire créera des tensions fatales à certains acteurs, secouant le marché en le poussant à se consolider. Tout ceci peut menacer le web 2.0, sans nécessairement provoquer sa disparition. Avec un recul de 25 ans, on peut constater que la consolidation du marché du logiciel au cours des cinq dernières années, celle du marché de la micro-informatique dans les années 90, n’ont pas conduit à la mort du PC ou du logiciel. C’est probablement ce qui se passera avec le web 2.0.
Un autre axe de discussion est celui du financement et de ses modalités. Parmi nos six invités, trois représentent des sociétés proposant de nouveaux modes de financement. De même, une comparaison entre France et Etats-Unis est nécessaire. La production industrielle exportée depuis l’Europe est très faible, puisque celle-ci inclut avant tout des services locaux. Le ratio de création de valeur et d’exportation entre Europe et Amérique est pire encore pour l’Europe que ce qu’indiquent les chiffres. Se pose la question du rôle de la France, et des enseignements à tirer depuis les Etats-Unis. Un créateur d’entreprise de haute technologie en France a deux solutions pour réussir : partir aux Etats-Unis comme certains d’entre nous, ou lancer l’entreprise en France puis rapidement partir aux Etats-Unis en laissant une partie de l’activité. En effet, la France est un des pays qui subventionne le mieux la R&D. Y a-t-il une troisième solution, et quelle est celle recommandée par ceux qui sont partis aux Etats-Unis ?
En ce qui concerne le web 2.0 et les start-up, une différence majeure existe entre les deux régions concernant l’impact de la crise : les succès comme les échecs auront été mieux financés aux Etats-Unis. Certaines sociétés ne survivront pas, mais celles qui traverseront la crise réussiront car elles bénéficieront d’un effet de levier et de l’accès au marché mondial. Un autre élément à apprendre des Etats-Unis concerne l’utilisation de l’échec : mal considéré en France, il est valorisé aux Etats-Unis où l’on estime qu’un créateur d’entreprise qui a connu des échecs saura en tirer parti.
Je laisse à présent la place aux invités, sous la direction de Laetitia Mailhes, qui a récemment beaucoup suivi la campagne présidentielle aux Etats-Unis. Il y a beaucoup de parallélismes à établir : un Président web 2.0 a été élu, donc tout converge. Laetitia Mailhes je vous laisse la parole. Nous donnerons la parole à la salle à la fin de chaque partie. Thierry Bonhomme nous permettra également de bénéficier de sa présence.
Laetitia MAILHES
Bonsoir à tous, j’ai ce soir auprès de moi quatre entrepreneurs français qui partageront avec nous leur expérience américaine. Avec nous aussi, JD Bergeron, qui parlera du site de microfinance Kiva.
Je commencerai par Béatrice Tarka, cofondatrice et PDG du site de voyages Mobissimo. Née à l’ambassade d’Italie à Varsovie, elle a grandi en France où elle a réalisé ses études à l’université américaine, un parcours la prédisposant à la mobilité internationale. Elle a créé et revendu deux sociétés en France avant de partir pour la Silicon Valley en 2003, avec une société développée autour d’un moteur de recherche spécialisé. Une levée de fonds en 2004 auprès de ténors tels qu’Eric Benhamou – entre autre – a permis le succès de Mobissimo, bénéficiaire depuis trois ans. Ce site permet de trouver vols, chambres d’hôtels et locations à prix réduits. Il s’est récemment doté d’un réseau social en tant que plate-forme d’échanges de récits, photos et conseils de voyage. Le site est multilingue et multiculturel, disponible en versions américaine, française, indienne, hispanique, allemande, britannique, italienne et polonaise.
Comment la crise affecte-t-elle l’activité sur les différents secteurs et marchés ?
Béatrice TARKA
Je commence donc sur un thème un peu pessimiste. La crise nous touche sous plusieurs aspects. Le premier élément est la baisse du revenu publicitaire, surtout dans le secteur du tourisme, premier secteur touché par le ralentissement de ces ressources. Un autre élément est l’accès aux capitaux, et les fusions et acquisitions.
Laetitia MAILHES
A ses côtés, Marc Dangeard, vétéran de la Silicon Valley où il est arrivé en 1991 après un passage par Washington. Il a construit des sites marchands dès 1995, saisissant la vague du web assez tôt. Son premier client a été un site américain de produits gastronomiques français, Levillage.com. Après huit ans chez Oracle, il revient à l’entreprenariat et crée à San Francisco le Business Booster, un programme hébergé par la chambre de commerce franco-américaine pour aider de jeunes entrepreneurs à développer leurs projets et à les présenter à des investisseurs potentiels. Il a aussi créé le European Angel club, en partenariat avec la chambre de commerce. Il est partenaire chez Melcion Chassagne, société française de conseil aux entrepreneurs, mais s’attachera avant tout à nous parler d’Entrepreneur Commons, un projet sur lequel il travaille depuis le début de l’année et destiné à développer l’investissement d’entrepreneur à entrepreneur.
Le contexte économique actuel doit-il contribuer à encourager la création d’entreprise ?
Marc DANGEARD
C’est en effet un bon moment, puisque les entrepreneurs ne sont pas à court d’idées et recherchent de nouvelles options. Je suis optimiste.
Laetitia MAILHES
Renaud Laplanche est fondateur et PDG de Lending Club, service de prêts de particulier à particulier. Il arrive à New York en 1999 en tant qu’avocat d’affaires pour un stage de six mois, puis quitte sa firme après trois mois pour créer son entreprise de logiciels Triple Hop Technologies, dont le moteur de recherche lui a permis d’être racheté par Oracle en 2005. A la fin de son engagement, il a monté le projet Lending club qui a ouvert ses portes en 2007. Ce service a d’abord été une application Facebook avant de devenir trois mois plus tard un site à part entière. Il ne constitue pas la première initiative sur le marché des prêts de particulier à particulier, mais possède ses caractéristiques propres, tel qu’un marché secondaire des prêts. Depuis son lancement, la structure a généré 21,5 millions de dollars de prêts pour plus de 20 000 prêteurs actifs et trois fois plus d’emprunteurs.
Quelle est la genèse du concept de Lending club, qui date d’une époque où tu étais très endetté ?
Renaud LAPLANCHE
L’idée est née au moment de la création de la première société Trip Hop Technologies, à New York, pour laquelle j’ai financé la plupart des dépenses initiales. J’ai accumulé une dette de 25 000 à 30 000 dollars sur laquelle je payais 18 % de taux d’intérêt, ce qui est assez élevé. Un ami m’a fait remarquer qu’en regard du montant, il pouvait lui-même prêter l’argent. Cela a mis en évidence l’écart entre les banques, qui paient entre 3 et 4 % de taux d’intérêt, et le taux des prêts aux particuliers, situé entre 15 et 18 % notamment sur les cartes de crédit. Nous avons cherché à réduire cet écart en créant un site sur lequel les particuliers se prêteraient directement de l’argent à un taux d’intérêt moyen de 10 à 12 %, un site attrayant à la fois pour les prêteurs et les emprunteurs.
Laetitia MAILHES
A ma droite, Daniel Laury, fondateur et PDG de l’agence de marketing en ligne LSF Interactive, arrivé dans la Silicon Valley en 1999. Attiré par la bulle Internet, il a monté Lucky Surf, un site de loterie gratuit financé exclusivement par la publicité et offrant un tirage quotidien d’un million de dollars. Il a pu mobiliser plus de dix millions de dollars en trois semaines, et opéré une deuxième levée de fonds de 30 millions de dollars entre décembre 1999 et janvier 2000. En décembre 2000, Lucky Surf constituait le 17ème site le plus visité au monde. En 2002 il a restructuré la société pour traverser la crise, et les affaires ont repris en 2004, à tel point qu’il ne pouvait satisfaire les demandes des annonceurs. Ceci a provoqué l’idée de créer une agence spécialisée dans la réalisation de campagnes marketing sur Internet. L’originalité à la source de ce succès est la rémunération à la performance.
As-tu le sentiment de revivre la crise de 2000-2001 ?
Daniel LAURY
En réalité, ce n’est pas le cas dans les origines et la manifestation de la crise, mais ce le sera peut-être dans ses conséquences. La crise de 2000 a été très brutale et très localisée sur la Silicon Valley. Elle a sanctionné une exubérance et la fin d’un non-modèle. Des innovations technologiques fortes n’avaient en effet pas d’application commerciale. Aujourd’hui la crise n’a pas pour origine la Silicon Valley, même si cette région en souffrira autant que d’autres ; une grande incertitude s’impose quant à l’avenir. Les conséquences seront probablement moins dramatiques pour la Silicon Valley, nous en sortirons par de nouvelles innovations. Chez LSF Interactive, nous proposons de plus en plus régulièrement à nos clients des innovations qui permettent des résultats supérieurs.
Laetitia MAILHES
Enfin, « last but not least », JD Bergeron est le Directeur de Kiva Fellows Program. Après avoir réalisé des études de russe, il a travaillé dans plusieurs start-up avant de partir pour un séjour en Bulgarie avec la Peace Corp américaine. Il a travaillé pour diverses ONG, dont le vétéran de la microfinance Accion. Il a rejoint Kiva en 2008, un service de prêts à 0 % pour des entrepreneurs de pays en développement. Ce réseau compte 40 000 entrepreneurs et près de 370 000 prêteurs, et génère actuellement un million de dollars de prêts tous les dix jours.
J’aurai tout d’abord environ quinze minutes de conversation en anglais avec JD, suivies de questions de la salle, puis nous reprendrons le débat en français avec les autres invités.
I. Registering with Kiva
Participant
How do entrepreneurs find you and register on the site?
JD BERGERON, Chief Executive Officer, Kiva
We work with a number of local partners and believe that partnership is the right way to establish local expertise. Entrepreneurs who would like to be on Kiva’s website need to find a microfinance institution serving their region that works with us. We lean on our partners to use their expertise on microfinance in their region to identify the right clientele.
Participant
How many countries are you in?
JD BERGERON
We are in between 41 and 45 countries.
Participant
Did you start with partnerships from the very beginning?
JD BERGERON
Yes. Kiva grew from partnerships in Uganda and we are now all over Latin America, Central Asia, Eastern Europe and Southeast Asia and the Pacific. We are therefore almost everywhere in the developing world and will probably set up in the United States and a few other markets in the developed world in the coming year.
II. Volunteering
Participant
Can you talk more about the partnerships and the Kiva Fellows Programme?
JD BERGERON
The Kiva Fellows Program is where we look for volunteers who are willing to devote 10 weeks to go to the developing world and work directly with one of our microfinance institutions. People meet entrepreneurs in the marketplace, where they are selling fruit at the side of the road or at their taxi stand and interview them about the impact of the loan. They will take photos or make a video of them. They also work very closely with the microfinance institutions, which are very young organisations and very competitive, although possibly not that well developed, to help them build capacity and work more efficiently and have an impact on more people.
Participant
How many volunteers are there?
JD BERGERON
We have about 100 volunteers each year in the programme. We specifically want French speakers for West Africa. It is difficult to find people to go to Senegal, Mali, Benin and Togo who are interested in doing this work and speak French.
III. How Lending Works
Participant
How does lending work ? Do people lend you money ? How much do they lend ? Is investment put into a portfolio?
JD BERGERON
This is open to anyone who has a credit or debit card. The minimum transaction is USD25. The idea was to have a very low access point so that people who do not have a lot of money or understand the Internet can go to the website and connect strongly to a photo or a story. We encourage portfolios and people can look at the loans that they have made on our website. People like to diversify by region and we have a lot of information on risk rating, star rating and the default rate of the microfinance partner as well as a lot of other things for those who are more interested in the financial aspect so that they can make a judgment on which entrepreneur they would like to support. We find that people react most strongly to the story and Kiva’s model is very much based on social return – lending money to make someone’s life better.
Participant
We should emphasise that the loans are 0% so the lender gets no interest. What about the payment’s risk ?
JD BERGERON
Kiva’s numbers are phenomenal and that is also true for the microfinance industry. There is a default rate of only 1.27% and people who have had no access to financial services in the past appear to take it very seriously when they finally get access. We hope that this will continue, even with the current crisis.
Participant
What size is the average loan?
JD BERGERON
It is between USD400 and USD500. It all depends on the region. Our maximum loan is USD1,200, which goes much further in East Africa than in Eastern Europe, for example.
IV. How Kiva Gets Its Money
Participant
How do you make money?
JD BERGERON
Kiva has been very fortunate. Without intending to attract the support of the press attention. Many people knew about Kiva after seeing us on The Oprah Winfrey Show in September 2007. As part of the transaction process of a US25 loan, we make an extra optional 10% donation. We take no money from the US25, which all goes to the entrepreneur. Seven out of 10 people give that donation and that has allowed Kiva in its second year to be 70% self sufficient, which is phenomenal. The rest of the money generally comes from grants. Some people invest, but then do not return to us quickly and that is a sad part for us. We want people to continue re investing or put their money into the economy, but some people have invested and have not come back. That money gathers interest and that also helps poor people. This is an income stream that we had not thought about, but it is good that it is happening.
From the floor
Are you a not for profit business ?
JD BERGERON
Yes.
From the floor
Did you raise funding to create the business ?
JD BERGERON
There were a number of critical sponsor organisations at the beginning, although we had no investors. It is purely not for profit. We were lucky to have a number of people who worked for a long time for nothing and all our staff at the beginning were volunteers. That has been a big part of our success. We have had no investors, although we have had some very strong supporters.
V. The Effect of the Economic Crisis
Participant
Has the economic crisis had any impact so far on your activity ?
JD BERGERON
We had not seen any impact until very recently. I think that the idea of giving small amounts of money for good work is a powerful one even when people’s wallets are not as full as they had been. There is a small decrease in the number of new people coming in, but that will probably correct itself. Most of our lenders are repeat lenders and when their USD25 is returned, they re invest it immediately. People are hedging from losing money in other ways because they think they will get their money back.
Participant
We should emphasise that lenders come from over 70 countries around the world.
JD BERGERON
That is right, and from every continent.
VI. The Kiva Model
Participant
You have had previous experience with traditional finance models. How has this revolutionised microfinance ?
JD BERGERON
As regards Kiva’s model in leveraging the Web and the interest of groups such as Facebook, we are like social networking for microfinance. It has allowed a new group of funders to come together, where small sets of socially driven individuals give small amounts of money. The money then gathers together and we can support microfinance institutions that have traditionally struggled to get funding from a large multinational bank.
Participant
You allow local small organisations to access to capital.
JD BERGERON
Absolutely. It has also allowed these very small, innovative organisations to work with other organisations that would struggle to survive, where they have not been long enough in existence and are serving very rural clienteles. There is a very innovative organisation in Cameroon that exclusively serves customers that are very far apart. Agriculture runs a higher because you never know if there will be a good crop. We are very happy to help that kind of organisation become the next big microfinancial institution by offering seed capital at a reduced rate.
Luc BRETONES
We hope that we will have some good French statistics on Kiva tomorrow.
From the floor
How have you been able to create a business in Africa - Cameroon or Uganda ?
JD BERGERON
Is your question how have we managed to set up partnerships in areas where networks are not strongly developed?
From the floor
Yes.
JD BERGERON
We are fortunate in that the organisations we work with talk to their peers and we get over 100 requests each month from microfinance institutions across the world that would like to be on Kiva’s website. We need to manage risk very carefully as our lenders want a social return and it would be very difficult if they were consistently losing money on defaulted loans. Generally, however, it is not difficult to build the partnerships because so many organisations would like to be able to access this capital.
Olivier EZRATTY
Une question générale pour tous : à quel point la crise affecte-t-elle non seulement les chiffres d’affaires, mais aussi la nature des moyens économiques ?
Béatrice TARKA
Il y a effectivement un changement, qui n’est pas uniquement une baisse des chiffres d’affaires, même si celle-ci est prévue dans tous les secteurs, sauf peut-être celui du divertissement (jeux on line). Dans le secteur des annonceurs, une des possibilités de maintenir le chiffre d’affaire consiste à transférer le modèle commercial du coût par click vers une rémunération à la performance. Malgré tout, les entreprises dans tous les secteurs tendent à diminuer leurs dépenses marketing dans la majorité des cas. Le chiffre d’affaire sera de toute façon affecté, et il est nécessaire d’aller inspecter les modèles commerciaux.
Olivier EZRATTY
S’agit-il donc de transférer le risque des annonceurs vers les sites, et de rendre le retour sur investissement de la publicité prédictible pour les annonceurs ? En dépensant un dollar, ils génèrent ainsi 1 000 dollars de chiffre d’affaires.
Béatrice TARKA
Exactement, l’accent est très clairement mis sur le rendement sur investissement.
Daniel LAURY
Le modèle à la performance est actuellement très demandé : de plus en plus de nos clients se tournent vers ce modèle, qui est moins risqué. D’autres restent sur une base de coût à l’impression (au 1 000). Dans ce cas, ce sont des agences comme la nôtre qui prennent le risque de la performance et de la transformation du coût d’impression vers le résultat.
De façon générale, les budgets se sont réduits de manière brutale au cours des dernières semaines. A la fin du mois de septembre, le on line semblait pouvoir encore être épargné du fait d’un déplacement des budgets du off line vers le on line. Mais les choses se dégradent rapidement depuis trois ou quatre semaines. Certains clients ont coupé le budget, d’autant plus que nous abordons une période de fêtes, de Thanksgiving jusqu’à Noël. Leur board leur intime en effet de faire des économies, mais aussi, ce qui est plus inquiétant, se demande si le trafic qui alimente leur site Internet se convertira en achats. C’est un problème concret, qui s’est traduit dans la Silicon Valley par des mesures importantes. Un certain nombre d’entreprises réduisent leurs effectifs. Cela aura un impact sur le social networking, car un certain nombre de sites qui ne génèrent pas de profits auront du mal à survivre dans les temps à venir, y compris des sociétés connues tel que Twitter.
Olivier EZRATTY
Cette tendance affectera-t-elle plus particulièrement les petites start-up, et accentuera-t-elle les différences de profits générés par les petits et les gros médias ?
Daniel LAURY
Les start-up qui n’ont pas d’argent propre auront du mal à survivre car elles n’auront plus accès, ou plus difficilement, aux sources de financement. Des sociétés plus établies comme la nôtre (nous existons depuis 1999), qui possèdent des liquidités, ne se posent actuellement pas encore la question de leur survie. Mais la prudence est nécessaire afin de prévenir toute fuite de capital.
Olivier EZRATTY
Un autre sujet lié à la crise que nous avons abordé est celui du financement des start-up. Vous avez un point de vue innovant sur ces questions. La crise va-t-elle accélérer la transformation de ce modèle de financement ?
Georges NAHON
Une simple remarque : en 2000, au pic de la bulle des valeurs Internet, 65 000 Français étaient enregistrés au consulat américain. Un an plus tard, ils n’étaient plus que 40 000. Aujourd’hui ils sont 35 000. Nous verrons comment le chiffre évoluera dans les prochains mois.
Olivier EZRATTY
Ces licenciements posent une question. Environ 60 000 sont actuellement référencés. Que deviennent ces personnes ?
Georges NAHON
Le système est celui des visas H1, selon lequel les personnes qui ne trouvent pas d’emploi en quelques mois sont renvoyées chez elles. Ce modèle simple fonctionne selon une logique de travailleurs temporaires. Les étrangers – Français, mais aussi Indiens, Anglais, Allemands, Chinois – constituent une grande partie de la force de travail dans la Silicon Valley, et une population considérable. De même, aujourd’hui il n’y a plus un seul élève blanc dans la meilleure école de Palo Alto, et une majorité de Chinois.
Laetitia MAILHES
Certains investisseurs optimistes considèrent cette vague de licenciements comme une donnée bénéfique, car elle élargira les ressources de talent disponibles. Auparavant, le marché de l’emploi était trop rigide et rendait difficiles les nouvelles embauches. Ce raisonnement est-il toujours valable dans l’actualité la plus récente ?
Olivier EZRATTY
Au vu de la conjoncture actuelle, les start-up tendent à geler les recrutements, voire à opérer des licenciements préventifs. Les grandes entreprises de la Silicon Valley poursuivent peut-être leurs recrutements du fait d’un turn-over naturel, donc peut-être sont-ce elles qui attirent aujourd’hui le plus de talent, du fait de la crise ?
Béatrice TARKA
Il existe une grande différence entre la période actuelle et la conjoncture connue en 2002 en ce qui concerne les financements, secoués aujourd’hui par une crise structurelle de financement. Les grands fonds de private equity revendent actuellement leurs capitaux à l’étranger. Les fonds de pension de Harvard School qui investissaient dans des fonds de capital-risque les cèdent également. Les investisseurs n’ont donc pas les ressources nécessaires pour investir dans des start-up. Après l’explosion de la bulle Internet, la confiance dans le modèle commercial de la start-up s’est effondrée, et a expliqué le manque d’investissement. Dans le cas présent, toutes les petites entreprises sont concernées par le manque de financements et le retrait des fonds d’investissement. Les sources alternatives de financement prennent alors toute leur importance.
Pour ceux qui créent actuellement leur entreprise, il est indispensable d’opter pour un modèle commercial qui aboutisse à des rendements positifs en terme de rentrée de capitaux sur une échéance de trois à six mois. On ne finance actuellement pas de projets dont la rentabilité espérée s’échelonne à plus long terme.
Marc DANGEARD
Les grands fonds de private equity dont nous parlons, qui gèrent des centaines de millions de dollars, possèdent seulement 2 à 3 % de leurs fonds en « investissements alternatifs », et ne les gèrent que par le biais d’intermédiaires. Lorsque la conjoncture est mauvaise, il leur est aisé de les supprimer, car ils ne représentent pas une source de revenus majeure, même si elle représente 20 milliards d’investissements par an. Ces fonds ont actuellement un problème structurel, car ils réalisaient leur profit sur des capitaux qui sont actuellement plus contrôlés.
Laetitia MAILHES
Comment Entrepreneur Commons a-t-il trouvé sa niche dans le contexte actuel ?
Marc DANGEARD
Entrepreneur Commons correspond à deux éléments : un fonds d’investissement sur des entrepreneurs et un réseau social d’entrepreneurs. Aujourd’hui le venture capital ne fonctionne pas, puisqu’il représente une économie de compétition où seul 10 % des start-up du marché sont financées, avec des chances réelles de succès pour 1 % d’entre elles.
Ce n’est pas le cas partout : Inc. Magazine a rendu public son classement des « top 5 000 fast growing companies », et seules 3 % d’entre elles ont été financées par le venture capital. Les 97 % restants s’en sont sorties sans cette option, avec des montants d’investissement initial d’environ 25 000 dollars. Aujourd’hui, il est possible de démarrer une entreprise avec peu de capital, et l’accès aux technologies constitue une aide précieuse. On peut mettre en place un site Internet avec des coûts de fonctionnement nuls. Beaucoup de personnes possédaient de bonnes idées mais n’osaient pas se lancer dans la création d’entreprise. Nous assisterons probablement à la création d’un grand nombre d’entreprises, sur un modèle moins centré sur le venture capital.
Olivier EZRATTY
En conséquence, les business angels vont-ils investir plus résolument ?
Marc DANGEARD
Les business angels semblent avoir le même type de problèmes que le venture capital, et ceux que je connais se contenteront d’observer l’évolution de la situation dans les prochains mois. Ils ne constituent finalement pas une réponse plus satisfaisante. Ne possédant que peu de capital, ils investissent dans un nombre de projets limités, et tendent donc à jouer à la loterie en choisissant le même type de compagnie que le venture capital, des sociétés au potentiel de retour élevé. Aujourd’hui, la meilleure solution pour un entrepreneur est de trouver des clients : puisqu’ils sont installés dans un processus de vente proactif, il est plus simple de rechercher des clients plutôt que de l’argent. Pour les besoins en capital, des sociétés comme Entrepreneur Commons sont là pour jouer leur rôle.
Laetitia MAILHES
Dans quelle mesure Lending club permet-il de fournir des prêts aux entreprises ?
Renaud LAPLANCHE
25 % seulement des demandes de prêts sont formulées par de petites ou moyennes entreprises, dont la majorité n’est pas constituée de start-up. Dans la majorité des cas, il s’agit de prêts aux particuliers. Les entreprises que nous finançons sont en général déjà établies, et cherchent uniquement à compenser une ligne de crédit fortement diminuée par leur banque. Pour elles, le social lending représente un mode de financement alternatif.
De la salle
Ne pensez-vous pas que la crise est avant tout un problème de surendettement ? Les Américains vivent au-delà de la richesse qu’ils créent, ce qui aboutit, à terme, à un effondrement de la consommation. A l’inverse, les Chinois sont réellement en possession des facteurs de production. Les Américains ont créé des quantités considérables de fausse monnaie, qui seront néfastes pour tous. Les Chinois perdront des clients, mais ne seront-ils pas les bénéficiaires des conséquences de ce qui arrive aujourd’hui ?
Daniel LAURY
Il convient cependant de noter, pour rester optimiste, que nous nous trouvons dans un environnement US excessivement dynamique, et nous bénéficierons très rapidement de relais de croissance. Ceux-ci pourraient émerger en particulier dans le secteur des énergies alternatives. Dans un avion en direction de la côte Est, j’ai rencontré un ancien membre des forces armées en Irak sur le point de créer une entreprise dans l’Utah. Il s’agissait d’une entreprise d’énergie éolienne. En l’espace de trois mois il était parvenu à revendre l’électricité prévue aux entreprises des alentours et à signer un contrat de revente avec le Power Grid. Il était sur le point de construire environ 1 000 édifices. Cet exemple démontre bien la capacité permanente d’innovation qui existe aux Etats-Unis et la possibilité de rebondir sur de nouvelles activités. La réaction américaine sera probablement phénoménale et impressionnante, en particulier en ce qui concerne les énergies alternatives.
Thierry BONHOMME
Nous travaillons sur l’ensemble de nos laboratoires. Les éléments qui nous caractérisent sur le marché de la médiation aux Etats-Unis par exemple sont différents de notre positionnement en Asie où nous sommes plutôt tournés vers les plates-formes industrielles, et où le médium principal est le mobile et non le PC. En Chine par exemple, le ratio est de 600 millions de mobiles contre seulement quelques millions de PC. Certains abonnements via le mobile permettent en fait une connexion Internet. Dans le potentiel détectable aujourd’hui, la bonne stratégie n’est pas nécessairement de s’orienter vers les territoires sur lesquels nous n’opérons pas commercialement. Innovacom gestion, la structure d’investissement au sein de France Telecom, opte actuellement pour une stratégie de repli sur les territoires sur lesquels nous agissons commercialement
Le premier phénomène actuel n’est pas la disparition des investisseurs, mais plutôt le rapprochement de l’argent sur les territoires dans lesquels l’activité commerciale semble contrôlable. Dans un deuxième temps, nous pouvons nous reporter à la lecture de théoriciens économiques, tels que Jacques Attali ou d’autres, Thomas Friedman par exemple.
De la salle
Une question très pratique concerne la Silicon Valley. Lors de la dernière crise, s’était posé le problème du prix des loyers. Ce type de préoccupation va-t-il s’imposer cette fois ?
Daniel LAURY
Les signaux sont encore peu lisibles actuellement. Dans certaines zones, les loyers ont effectivement diminué. Dans d’autres, comme dans les quartiers huppés de San Francisco, le mouvement semble encore faible. L’activité des restaurants est en cela une indication intéressante. Elle reste la même, alors que nous avions assisté à une chute brutale de la fréquentation en 2000. Mais cette remarque est personnelle.
Georges NAHON
Pourtant, de nombreux restaurateurs annoncent une baisse allant jusqu’à 30 % de leur chiffre d’affaire. La cuisine s’améliore dans la Silicon Valley, comme à New York d’ailleurs. Cela reste un endroit privilégié pour la gastronomie.
Laetitia MAILHES
Au sujet des opportunités liées à la crise, y’a-t-il d’autres exemples qu’il est possible de citer ?
Marc DANGEARD
Dans le même esprit que l’exemple donné par Daniel Laury tout à l’heure, l’Agence de protection de l’environnement estime qu’entre 20 et 50 % d’économies d’énergies peuvent être réalisés au seul moyen des technologies existantes. Dans ce secteur, une véritable opportunité de réduction des coûts peut émerger, et les gains potentiels sont importants.
Daniel LAURY
Dans notre secteur, la crise est vécue comme un moment porteur. Nous cherchons à gagner des parts de marché, à renforcer notre structure de vente au moyen de salaires plus bas. Il convient de rappeler que les salaires étaient excessifs dans la Silicon Valley, et reviennent actuellement à des niveaux raisonnables. Le temps nécessaire pour sortir de la crise reste incertain, mais il existe un grand nombre de données positives. Le modèle de rémunération à la performance nous aide, et certaines entreprises doivent actuellement revenir sur le secteur de l’Internet pour trouver de nouveaux clients. Il convient de rappeler que 75 % des 500 plus grosses entreprises américaines ne possèdent pas un site Internet optimisé pour le référencement naturel. Il existe donc de nombreuses opportunités dans la crise.
Olivier EZRATTY
Nous pouvons comprendre cette logique pour le secteur de l’énergie, mais le raisonnement est-il le même pour la haute technologie ? Comment cette industrie va-t-elle se transformer ? Un exemple classique est celui de la visioconférence, une technologie vieille de dix ans : son évolution pourrait-elle être plus rapide dans un contexte de crise ?
Laetitia MAILHES
Il est important de noter que la plupart de nos invités ont des modèles commerciaux ne dépendant pas uniquement de la publicité, et portent de nouvelles stratégies que la crise peut permettre de développer.
Daniel LAURY
Effectivement, je pense que ces modèles commerciaux vont s’accélérer, et certainement celui de la visioconférence, en tous cas dans une situation où le prix du pétrole est de 100 dollars le baril. Les choses évoluent très vite, nous sommes actuellement en-dessous des 50 dollars par baril, ce qui a un impact important. A l’été 2008, dans un contexte de prix du pétrole à 150 dollars le baril, le galon d’essence était au-dessus de quatre dollars. Nous sommes actuellement revenus à 2,25 dollars, soit une diminution par deux en moins de trois mois.
Olivier EZRATTY
Il n’y a pas de TIPP chez vous, la taxe amortit les variations en France mais non aux Etats-Unis.
Daniel LAURY
A l’été 2008, beaucoup de personnes optaient pour le système de la visioconférence, mais si les voyages deviennent moins chers du fait de la baisse du prix du pétrole cela peut changer. Néanmoins ce modèle évolue rapidement et s’accélère.
De la salle
L’innovation demeure, plus que le financement, le moyen de sortir de la crise. Je sors de l’école Paris Tech, et suis inquiet de voir le nombre d’ingénieurs captés par les entreprises de services et non par des entreprises de R&D. L’innovation ne viendra pourtant pas de ces entreprises de services, qui en général réalisent de la pure mise en place de projets. J’aurais aimé connaître la tendance aux Etats-Unis, étant moi-même tenté par un départ à San Francisco. Comment sortir de la crise par l‘innovation ?
Olivier EZRATTY
Il est vrai que les SSII sont presque absentes des médias américains, alors que celles-ci représentent 50 % de l’économie en France.
Renaud LAPLANCHE
Cela existe tout de même : Hewlett Packard a racheté EDS cette année pour 13 milliards de dollars, ce qui représente une grande partie de l’augmentation de leur chiffre d’affaire. Cette semaine, leurs résultats sont en hausse, le chiffre d’affaire a semble-t-il augmenté de 13 % au dernier trimestre 2008, dont 10 % proviennent de la partie services. IBM aussi a présenté de bons résultats, mais cette donnée n’est pas nouvelle : depuis 15 ans maintenant l’entreprise est orientée vers les services avec succès.
Olivier EZRATTY
Cela signifie-t-il que le secteur des services informatiques est plus résistant à la crise, ou est-ce un simple décalage de trois mois ? IBM a en effet annoncé qu’il se porterait bien jusqu’à la fin de l’année, ce qui n’est pas le cas d’autres entreprises. Le poids des créateurs de technologie étant plus faible en France que celui de ceux qui l’utilisent, comme les SSII, l’emploi évoluerait différemment.
Daniel LAURY
Nous nous concentrons sur les services, mais la Silicon Valley reste en grande majorité un bassin d’emplois de haute technologie et non de services. Il y a peu de temps qu’Internet existe, et géographiquement les trois quarts de la Silicon Valley renferment des activités de technologies. Intel, Hewlett Packard constituent les gros bassins d’emploi, alors qu’Internet, arrivé dans les années 1995-2000, n’en représente qu’une minorité.
Olivier EZRATTY
Je pense que dans la question, Internet était sous-entendu comme inclus dans la R&D.
Daniel LAURY
Comme le souligne Georges Nahon, Google est tout à fait une société de technologie et non seulement de services.
Thierry BONNHOMME
Il faut signaler qu’il est difficile de distinguer systématiquement services et technologies. Nous sommes un département de R&D qui s’appuie sur des couches très profondes de technologie, mais également aussi fortement dans les services (tests de perception du client par exemple). Je conçois donc un continuum dans lequel il est difficile d’opposer architecture, intégration technologique, production du service, etc.
En revanche, la capacité française à mettre en place un grand nombre de développeurs pouvant architecturer un tout diffère de celle des Etats-Unis. Il y a ici un véritable écart : des dizaines de milliers d’architectes-intégrateurs-développeurs sont présents dans les grandes compagnies de la Silicon Valley, et c’est un potentiel qui n’existe pas en France et en Europe. C’est un des grands défis à relever, qui supposera de fédérer non seulement Paris Tech mais aussi d’autres écoles produisant des ingénieurs informaticiens. Cette démarche permettra d’améliorer sensiblement notre capacité d’intervention. Enfin, dans notre métier, il existe une forte expansion du territoire sur laquelle nous devons travailler. Le véritable défi est la capacité à optimiser une technologie, et à la faire fonctionner au moyen de nombreux corps de métiers. Ici aussi, il convient d’améliorer le fonctionnement français par rapport à la Silicon Valley.
Georges NAHON
Je vais tout à fait dans ce sens. Le cloud computing en est un exemple, du fait du besoin d’innovation qu’il génère dans l’infrastructure, les logiciels et l’intégration. De même, la capacité de monter en charge dans un système donné pour gérer une forte activité est un problème intégré et constitue une grande architecture de réseaux. Google est réellement une entreprise d’infrastructure, même si elle est souvent présentée comme une entreprise de services. Il est le plus gros consommateur américain d’électricité.
De la salle
La question s’adresse à Renaud Laplanche et Marc Dangeard. Dans un contexte de crise, il est difficile de mener des investissements. Pourtant l’investissement des particuliers semble être en pleine croissance. Ai-je bien compris la situation ? Observe-t-on en période de crise une baisse des investissements de particuliers ? D’autre part, les Américains sont-ils plus enclins à investir que les Français, qui possèdent une culture de l’investissement plus faible ?
Renaud LAPLANCHE
Nous avons de la chance, car Lending club est favorisé par la crise. Sur les 21 millions de dollars de prêts émis par les membres de l’entreprise, 3,5 millions ont été émis au cours des dernières semaines. Nous avons donc connu une augmentation importante de l’activité sur nos sites depuis le début de la crise financière. La situation est en fait idéale pour le développement des prêts entre particuliers. Ces derniers ont actuellement de moins en moins d’options pour se financer. Les banques et émetteurs de cartes de crédits ont en effet soit durci leurs critères d’octroi de prêts, soit augmenté considérablement leurs taux d’intérêt. Les ménages américains cherchent donc à se financer à des taux convenables. En ce qui concerne l’offre, des millions d’investisseurs particuliers ont perdu de l’argent en bourse dans les dernières semaines et cherchent des alternatives pour leurs investissements.
Investir dans un portefeuille de prêt à des ménages, à condition qu’il y ait un bon score de crédit, peut être la solution. Lending club se concentre sur des ménages utilisant le crédit de manière responsable, et non sur ceux concernés par les subprimes. Les prêteurs de Lending club ont, au cours des dix-huit derniers mois, enregistré un rendement annuel compris entre 10 et 12 % par an. Ce chiffre était légèrement supérieur au Dow Jones, qui a crû d’environ 9 % par an au cours des trente dernières années.
Laetitia MAILHES
Peux-tu parler de l’impact du marché secondaire des prêts sur l’évolution de l’activité ?
Renaud LAPLANCHE
Nous avons lancé le mois dernier un marché secondaire permettant aux prêteurs de revendre leurs prêts à d’autres prêteurs. Cette liquidité manquait pour que le marché des prêts entre particuliers grandisse aux Etats-Unis. Ce type de prêteurs investissait sur des prêts à trois ans, sans aucune liquidité. Depuis le mois dernier, ceux qui le souhaitent peuvent revendre leurs prêts. Mais aujourd’hui, notre fonctionnement est malheureusement exclusivement américain.
Marc DANGEARD
Cette crise financière est aussi une forte crise de confiance. Les banques étaient en charge de redistribuer de l’argent là où il était nécessaire, or elles n’ont pas orienté cet argent dans la bonne direction. Les individus se demandent donc s’il est plus bénéfique pour eux de prêter à une banque ou à des individus, avec plus de transparence. La population entend aujourd’hui que 700 milliards de dollars vont être prêtés aux banques pour leur fournir une aide, mais on ne sait pas exactement où se dirige l’argent. Les banques ont aujourd’hui perdu la confiance de leurs clients, et c’est ce qui a précipité la crise : certains individus qui possédaient des lignes de crédit ont retiré tout leur argent des banques par précaution. Le système est par conséquent totalement remis en question, et c’est donc une logique de prêt de personne à personne, plus transparente, qui peut faire la différence.
Laurent BERNIER
Je suis multi-créateur d’entreprises, j’en suis à la cinquième création. Il y a aujourd’hui un réel problème de financement de l’innovation. Une particularité de notre pays est qu’il ne suffit pas d’avoir un client pour obtenir du cash afin d’innover. Il est aujourd’hui plus simple d’avoir des clients que de trouver du financement, et plus simple d’avoir des clients que d’en trouver. Le constat est que l’innovation est plus facile lorsqu’on possède déjà une activité commerciale au moyen de laquelle il est possible de dégager des financements pour réinvestir dans une autre niche.
C’est une problématique du primo-entrant, identique à celle qui prévaut dans l’immobilier. La start-up doit, elle, s’adosser à des entreprises qui dégagent du capital et ne savent comment l’utiliser, afin d’associer innovation et capital. Ceci peut constituer une piste de financement de l’innovation. Le seul obstacle à cette logique est culturel : les entrepreneurs ne souhaitent pas devenir des salariés de grosses structures existantes, et de leur côté ces structures refusent de se confronter au risque inhérent à toute logique entrepreneuriale.
Marc DANGEARD
Cette question contient l’idée de demander à certains entrepreneurs déjà installés d’aider ceux qui mettent en place une activité, en faisant en sorte de ne pas créer de conflits d’intérêt. Un problème de l’investissement au moyen des private equity est justement qu’il crée une tension entre investisseurs et entrepreneurs. Le taux de survie d’une entreprise à 4 ans est selon moi de 43 % : il existe donc chez certaines entreprises qui démarrent de vraies opportunités de succès. Un véritable entrepreneur doit savoir prêter de l’argent à de nouveaux projets, au moyen d’un retour intéressant, de l’ordre de 10 à 12 %. A l’inverse, aujourd’hui une poignée d’experts décide qui mérite d’être soutenu et qui ne l’est pas. Sans remettre en cause la qualité de ces experts, ce système n’a pas de sens car il produit beaucoup de déchets. Financer des entrepreneurs avec des entrepreneurs, comme le fait la microfinance et Kiva par exemple, est un modèle chargé de sens.
Olivier EZRATTY
Justement, les grands groupes, tels que Google, HP ou Apple jouent-ils un rôle positif dans l’écosystème des start-up ? S’ils en ont un, quel est-il ?
Daniel LAURY
Toutes les grandes sociétés, en particulier Intel, ont des fonds de capital-risque, et investissent dans des start-up proches de leur propre domaine.
Béatrice TARKA
Même dans les plus petites start-up, tel que la nôtre, nous nous sommes aperçus que nous dégagions du capital. La crise a montré que l’argent placé en banque peut constituer un risque. Pour la première fois cette année, nous avons donc engagé une réflexion afin de diversifier le risque, et étudié la possibilité de mettre en place des dettes convertibles dans d’autres start-up. Nous avons investi cette année à plusieurs reprises sous cette forme dans des sociétés que nous connaissons bien. Cela rapporte plus que si le capital est maintenu dans les banques, et constitue une solution alternative de financement.
De la salle
Je suis étudiant de Centrale Paris. Pourquoi les sociétés françaises présentes aux Etats-Unis, à San Francisco par exemple, ne s’orientent-elles pas vers une main d’œuvre française intéressée par une expérience internationale ? Par ailleurs, la notion de CDI n’existe-t-elle réellement pas aux Etats-Unis ? Peut-on se débarrasser de quelqu’un du jour au lendemain ?
Olivier EZRATTY
C’est la définition même du terme « indéterminé ».
Georges NAHON
Nos types de contrats sont révocables à tout moment des deux côtés, c’est une pratique assez générale.
Daniel LAURY
Les contrats fonctionnent partout de la même manière. Il n’y pas de notion de CDI, le contrat est révocable du jour au lendemain. L’avantage, hors crise économique, est qu’on retrouve en général très facilement du travail après avoir quitté une entreprise. J’ai tendance à dire qu’il y a plus d’avantages, en termes de rémunération, à être vice-président d’une entreprise que CEO.
Olivier EZRATTY
Connaissant le système français, appréciez-vous cette flexibilité au quotidien, que ce soit en temps de crise ou non ?
Daniel LAURY
Ce système permet aux entreprises de survivre quand elles en ont besoin. Notre filiale à Paris compte entre 45 et 50 personnes, et le fait qu’il faille trois mois pour réduire les effectifs nous oblige à prévoir les ralentissements beaucoup plus à l’avance. Aux Etats-Unis les modalités sont plus flexibles et plus rapides, il est donc plus facile de corriger les effets de bord.
Georges NAHON
En Californie du Nord en tout cas, le code du travail rend les clauses de non-concurrence quasiment inexistantes. Cela procure une souplesse dans les échanges entre entreprises qui fait que les salariés n’hésitent pas à quitter un emploi pour un autre, même si c’est moins le cas actuellement.
Olivier EZRATTY
Le salarié ne se sent donc pas dévalorisé par ce système ?
Marc DANGEARD
Ce modèle est sain : les salariés savent à quoi ils sont employés, et cherchent en permanence à apporter de la valeur. Aucun salarié aux Etats-Unis ne vit dans l’illusion du confort d’un salaire, leur situation est révocable à tout moment, même s’ils occupent un emploi dans une grosse société. C’est plus enrichissant.
Daniel LAURY
Il faut ajouter à cela le fait que le licenciement aux Etats-Unis se fait généralement de façon positive. Dans les livres de management d’entrepreneurs américains, la manière de licencier est exposée en prétendant que l’employé est parfaitement compétent, mais ne correspond simplement pas aux nécessités présentes de l’entreprise. En revanche, ailleurs il trouvera plus facilement son bonheur. Cette logique peut paraitre hypocrite à des Français, mais elle est pourtant en général psychologiquement rassurante pour un salarié. Personnellement, j’ai réalisé beaucoup de licenciements depuis 1999, ce n’est pas facile mais on tente de présenter les choses de façon positive.
De la salle
Ma question s’adresse à Monsieur Laplanche. Merci pour votre prestation et la présentation de votre société. Que pensez-vous de l’opportunité de réformer la retraite américaine ?
Renaud LAPLANCHE
Rapidement, Lending club fait de la désintermédiation, qui consiste à faire en sorte que les personnes qui ont de l’argent aient un accès direct à ceux qui en ont besoin. Ce modèle peut s’appliquer à d’autres pans du secteur financier. Le système de retraite est un problème plus global, qui fonctionnait bien jusqu’à présent. Il a été plus vulnérable aux variations de la bourse qu’on ne l’aurait voulu. Une solution serait peut-être de faire en sorte que les prêts entre particulier soient éligibles aux retraités, ce qui éviterait ce type de variations.
Olivier EZRATTY
Laetitia Mailhes, je vous laisserai conclure. Nous avons traité de nombreux sujets. Que peut-on retenir de tout cela sur la spécificité de la Silicon Valley, et quelle expérience la France peut-elle en tirer pour améliorer sa compétitivité ?
Laetitia MAILES
C’est un sujet de thèse que vous me proposez ! Les invités d’aujourd’hui ont des modèles commerciaux particulièrement intéressants dans cette période de crise, ne dépendant pas entièrement du modèle publicitaire. J’aurais aimé que nous nous penchions davantage sur cette question. Par ailleurs, tous ont des opportunités claires liées à leur modèle et je suis heureuse qu’ils aient pu les exposer.
Olivier EZRATTY
Merci beaucoup pour la gestion du débat, qui n’était pas facile. Nous avons tout de même eu une dizaine de questions de la salle. Nous allons vous remercier tous.
Luc BRETONES
Nous allons émettre quelques messages concernant les prochaines manifestations de l’Institut G9+ qui seront dans la directe ligne de celle d’aujourd’hui. Au-delà du cocktail, des démonstrations vous attendent : télévision 3D, table communicante, etc.
David BOURGEOIS
Un message concernant les conférences du G9+ à venir. La prochaine aura lieu le 27 novembre, sur la business intelligence : les enjeux, le panorama des solutions progiciel, les technologies de choix de solutions. Le 2 décembre, « Economie des éditeurs open source : du dogmatisme au pragmatisme », le 3 décembre, « Le financement des PME par la haute technologie », et le 20 janvier, « Virtualisation, cloud computing, SaaS : stratégie payante ou miroir aux alouettes ».
Vous retrouverez ces sujets sur le site de l’Institut G9+. Sur ce site, ainsi que sur le blog dédié à cet évènement, vous retrouverez le compte-rendu de notre rencontre, qui sera en ligne dans les jours à venir. Je voudrais également remercier la technique, à Paris comme à San Francisco, qui nous a permis de dialoguer malgré neuf heures de décalage.
Luc BRETONES
Merci en particulier à Laetitia et Georges pour leur préparation, ainsi qu’aux entrepreneurs qui ont pris sur leur temps de travail. Bravo à vous, vous portez haut les couleurs de la France. Nous avons besoin de gens comme vous, et j’espère que le seuil des 35 000 résidents français sera le plus bas que nous connaîtrons. Merci de votre présence ce soir, nous referons une séance de ce type très prochainement.
Merci à vous.
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