16/11/2008

Interview de Marc Dangeard

Le peer-to-peer lending au service d’un capitalisme 2.0 durable

Marc Dangeard, fondateur du service Entrepreneur Commons TM, interviewé par David Bourgeois, COO d’Altik, pour le Club IT de Centrale Marseille Alumni

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1 – David Bourgeois : Entrepreneur Commons TM aide les entrepreneurs à financer l’amorçage de leur start-up. Vous dites de votre association qu’elle tente de rendre le financement plus humain. Peut-on être banquier et philanthrope ?

Marc Dangeard : Il ne s'agit pas de philanthropie, mais il y a une vraie différence entre des business qui sont tournés vers le profit maximum et des business à simple but lucratif. Beaucoup de gens réalisent, surtout en ces temps de crise financière, que le profit en tant que tel ne doit pas être le but unique si on veut une société durable.
D’un autre côté, on ne peut pas se reposer sur la philanthropie et le mécénat des grandes fortunes du monde pour faire la différence. Malgré les montants énormes que donnent un Bill Gates ou un Warren Buffett, ceux-ci restent une goutte d'eau face aux problèmes à résoudre.
Personnellement, je pense qu'il est possible d'être investisseur et de générer du profit tout en garantissant les intérêts de l'entrepreneur.

2 – DB : Kiva, Entrepreneur Commons TM, Lending Club, le web 2.0 innove dans le prêt sans les banques. La désintermédiation totale est-elle possible ? Pour quelles étapes du financement ?

MD : C'est une question intéressante, et qui a encore plus de sens aujourd'hui si l’on considère ce que les banques ont fait avec notre argent (je fais référence à la crise des prêts hypothécaires aux USA). Le plus étonnant reste que le gouvernement parle de renflouement des banques, mais cela ne résout pas le problème des entrepreneurs pour qui le crédit est difficile à obtenir aujourd'hui et pour longtemps encore sans doute.
En conséquence, effectivement, imaginer faire du business sans les banques prend encore plus de sens. Elles ne disparaîtront pas bien sûr, mais il est envisageable que des process parallèles se mettent en place.
Il sera intéressant de voir jusqu'où les gouvernements vont laisser faire. La régulation qui s’applique aux banques a sans doute été décidée pour protéger les clients. Elle permet également au gouvernement de contrôler ce qui se passe..
Enfin, les difficultés du peer to peer lending ne résident pas au niveau d’une étape ou une d’autre du financement, mais plutôt dans les montants qui peuvent être rassemblés et les contraintes légales qu'imposent les gouvernements.

3 – DB : Quels nouveaux modes de financement peuvent émerger de la crise financière que le monde traverse actuellement ?

MD : La crise financière est une opportunité de revisiter ce qui se fait. Le peer to peer lending est une option. J'espère qu’il deviendra - de manière plus générale - une opportunité de revisiter le capitalisme d’aujourd'hui. Un capitalisme concentré exclusivement sur les retours financiers. Il serait bon d’introduire dans le système un moyen de mesurer les intangibles, afin de les prendre en compte tout au long du process d'investissement.
Ma référence dans le domaine est la microfinance, dont le concept de base est simple : les personnes qui reçoivent les prêts sont considérées, non pas au regard de leur patrimoine financier, puisqu'ils n'en ont pas, mais sur la confiance que leur prête leurs pairs (le social capital en anglais). Ces gens peuvent utiliser leur social capital pour obtenir des prêts, qu'ils remboursent, ce qui leur permet d'augmenter leur social capital, formant ainsi un cercle vertueux.
On aurait peut-être pu voir venir - si on l'avait tracé - le problème crée par la titrisation des prêts. Une titrisation qui ne permet pas de conserver la trace de la personne qui est à l'origine du prêt, et dans laquelle la garantie que représente le capital social est nulle.

4 – DB : Qualifieriez-vous le web 2.0 d’Internet social ?

MD : Tous ces mots sont utilisés dans tous les sens, et il y a une vraie bulle autour des outils du web 2.0.
Au delà de l’effet de mode qu'on a pu voir autour d'un service ou d'un autre, le web 2.0 est un réel mouvement de fond qui représente une vraie évolution sociale. Un événement aussi important que la révolution industrielle !
L’Internet 2.0 représente plus que du web social. Grâce à lui, on sort du virtuel pour revenir dans la vraie vie : avec les téléphones mobiles, et l'Internet partout et tout le temps, notre environnement s'enrichit chaque jour d'informations de toutes parts. On vit en permanence à l'intersection d'un monde physique et d'un monde virtuel. Il faut apprendre maintenant à gérer ces informations, qui nous rendent plus efficaces si elles sont bien utilisées, mais qui peuvent aussi nous noyer.

5 – DB : Pourquoi avoir choisi une carrière aux Etats Unis ?

MD : Il y a en France beaucoup de frictions quand on veut être entrepreneur. On trouve ici beaucoup plus d'opportunités, la culture américaine permet à tout le monde d’espérer réaliser ses rêves.
Je suis arrivé ici par hasard (un VSNE qui devait au départ se dérouler au Venezuela), et je suis resté, parce que lorsqu’on a goûté à l'optimisme local, il est très dur de revenir en France…

6 – DB : Les Etats-Unis accueillent de nombreux entreprenautes français. Quelles raisons poussent ces patrons à lancer leur start-up aux Etats-Unis plutôt qu’en France ?

MD : Le marché américain est incontournable, il y a ici un potentiel qui n'existe pas ailleurs. Il est donc logique pour un entrepreneur de se poser la question à un moment ou à un autre de s’implanter aux Etats-Unis.
Mais attention, c'est un process difficile au cours duquel finalement peu réussissent. Il y a une vraie différence culturelle entre la France et les USA. Ils ont les mêmes McDonalds et ils regardent les mêmes séries télé, mais le mode de fonctionnement d'un américain est aussi différent pour un français que celui d'un chinois. Et donc venir faire du business ici n'est pas simple. Beaucoup viennent, mais beaucoup repartent sans avoir pu s'implanter. Peu réussissent.

7 – DB : Le Plan Numérique 2012 annoncé par Eric Besson permettra-t-il de changer la donne ?

MD : Je ne suis pas au courant des détails du plan numérique mais son objectif semble être d'améliorer les choses. La France est déjà très performante dans le domaine high-tech, et cette tendance va se poursuivre. Tant mieux. Malheureusement, aucun plan ne corrigera la faiblesse principale : la taille du marché français, qui reste limitée. Et malgré les efforts des politiques, l'Europe Unique n'existe toujours pas d'un point de vue commercial. Il faut vendre dans chaque pays avec des équipes et des régulations locales spécifiques. Rien de comparable avec le marché américain.
Dans le domaine du numérique, par défaut, tout est global. Mais les gens continuent de penser local avant de penser à s'exporter. Les process de développement ne sont actuellement pas en place pour permettre le « born global » dès le départ. C'est un des points que j'espère résoudre avec Entrepreneur Commons dans la seconde étape de son développement : l'existence de chapters à travers le monde permettra aux entrepreneurs d'envisager un développement de leur start-up plus facile et plus efficace sur plusieurs marchés en simultané.

8 – DB : Quels conseils donnez-vous aux entrepreneurs qui veulent se lancer aujourd’hui en pleine crise financière ?

MD : C'est une opportunité plus qu'autre chose. Les entrepreneurs qui créent leur start-up aujourd'hui rencontrent des conditions de financement externe plus difficiles. Ils sont donc obligés de se concentrer sur la génération de revenu par la vente à des clients. Et c'est sain.
Les entrepreneurs ont des idées quelles que soient les conditions financières. Ils continueront donc à créer des sociétés. Par contre ils seront obligés d'être plus rigoureux dans leur développement. La bonne nouvelle est que s’il y a un marché - et donc de la concurrence - tout le monde sera dans le même bain. Il y aura sans doute moins de sociétés qui achètent leur positionnement dans l’échiquier à coup de dumping sur les prix ou les services, car elles ne pourront pas tenir longtemps à ce jeu dans les conditions actuelles de financement.

9 – DB : Le nouveau président des Etats Unis d’Amérique peut-il favoriser l’émergence d’un capitalisme 2.0, plus humain ?

MD : On peut l'espérer. Il a fait sa campagne sur l'Espoir et le Changement, il lui faut maintenant exécuter. Son discours de victoire allait dans le bon sens, puisqu'il a clairement annoncé que cette victoire était celle de la démocratie et celle de tous ceux qui participe au process démocratique. La participation est au cœur du web 2.0, donc espérons qu'il continuera à penser et agir dans ce sens.